DELAURENTIS
MARS
MA GALERIE SONORE
MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé la saison dernière. Entre septembre et juin, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup de cœur de trois œuvres audio ou émissions à l’écoute sur mascenenationale.eu et radioma.eu.
DELAURENTIS
MARS
MA GALERIE SONORE
MA GALERIE SONORE est un espace virtuel dédié à l’art radiophonique lancé la saison dernière. Entre septembre et juin, des personnalités, réalisateurs et réalisatrices, artistes et radios complices proposent une sélection coup de cœur de trois œuvres audio ou émissions à l’écoute sur mascenenationale.eu et radioma.eu.
Musicienne, productrice, compositrice, autrice et interprète, DeLaurentis est de toutes les expérimentations. Elle réalise aussi bien l’identité sonore d’EDF qu’un album pour Adjani. MA la reçoit pour la première fois avec Musicalism, un concert à 360° pour les oreilles et les yeux.
LA
SÉLECTION
TATION
DE LA
SÉLECTION
DeLaurentis est musicienne, compositrice et productrice de musiques électroniques. L’héritage revendiqué de Laurie Anderson l’amène à produire des musiques où la technologie tient une place importante. Elle participe à de nombreuses innovations dans le domaine, aux côtés de l’IRCAM ou à Radio France, tout en travaillant auprès de grands noms de la pop ou de la chanson.
Vous avez choisi, comme premier podcast, un entretien avec Lisa Rovner qui est la réalisatrice d’un documentaire intitulé Sisters With Transistors. Ce documentaire revient sur quelques-unes (et elles sont relativement nombreuses) des pionnières des musiques électroniques. Quel est votre rapport à cette histoire ? Comment est-ce que cet héritage alimente aujourd’hui votre travail ?
Ce documentaire est le point de départ de mon travail en solo, en tant que compositrice et productrice. C'est pour ça qu’il est très important pour moi. Parce que j'ai découvert la musique électronique à une époque où il n'y avait que des hommes comme représentants de cette musique.
En France, c’était Laurent Garnier, Ed Banger et les Daft Punk et plus tard Justice, etc. En tout cas, ici comme à l'étranger, toutes les références que j'avais, c’étaient des hommes. Au départ, je viens du jazz, du classique, du conservatoire, et donc j'ai commencé la musique de manière un peu conventionnelle et traditionnelle. Le fait d’écrire et de composer, de produire, c'était quelque chose de très personnel, que je vivais seule chez moi. J'avais un ordinateur et je m'enregistrais. D’une certaine façon, je faisais de la musique électronique. Je créais, mais je ne partageais pas, j’étais extrêmement timide sur ce plan-là.
Un jour, je tombe sur un documentaire sur Laurie Anderson où on la voit dans son studio, dans les années 70, totalement autonome et indépendante. Elle compose, elle enregistre avec des sampleurs, des vocodeurs, des synthétiseurs, des ordinateurs, des harmoniseurs, et d’un seul coup, je vois qu'elle est capable de tout créer toute seule. Là, c'est vraiment le déclencheur ! C’est le moment où je me suis dit que si elle est capable de faire ça dans les années 70, c’est que c’est possible pour moi. Je découvre au passage que la musique électronique et plus généralement tout ce qui est technologique a été, au départ, exploré par les femmes. Un peu comme dans le cinéma où le montage a souvent été un travail féminin, c’est-à-dire technique et minutieux.
Quand j'ai découvert la musique électronique, toutes ces femmes avaient disparu de la scène, elles n’avaient plus de représentantes. Les temps changent, heureusement, mais je suis toujours restée attachée à ces parcours, aux portes qu'elles ont ouvertes. Ce sont des exemples qui me rassurent et me donnent confiance parce que je reste quand même dans un milieu technologique très masculin, en particulier lorsque je travaille avec des développeurs sur des intelligences artificielles ou lorsque je suis bêta-testeuse sur des prototypes. De ce fait, je me reconnais beaucoup dans ces modèles féminins. J’aime la technique, l’exploration, la recherche. Parfois, je me dis que je tiens peut-être une position comparable à celle d’une pionnière, dans un domaine comme celui de l’IA par exemple, ou dans le travail que je développe avec Hervé Déjardin à Radio France autour de la diffusion et du studio à 360°.
De la même façon que plusieurs artistes du documentaire le mentionnent, avez-vous le sentiment que, encore aujourd’hui, le fait de pouvoir disposer d'instruments électroniques à domicile permet d’éviter la discrimination par le genre dans l’accès aux moyens de diffusion, à la publication, aux ondes radios, aux concerts ?
Totalement ! Encore aujourd’hui, le fait d'être seule et autonome permet d'aller au bout d'un propos artistique, d'être dans la création à 100% pour proposer quelque chose. C'est l'œuvre qui est écoutée, qu’elle soit le fait d’une femme ou d’un homme. Pour arriver à ça, il faut effectivement ce temps, seule, en studio.
J'ai un exemple où je suis dans une soirée dédiée à la musique avec des personnes qui travaillent dans ce milieu, des compositeurs, etc. Et je me retrouve là, à une table, où il n’y a que des hommes. Quelqu’un à côté de moi me présente de façon très élogieuse en disant : « C'est génial ce qu'elle fait, elle est super pro des machines, et elle a fait de la super musique avec, etc. ». Ce à quoi un compositeur tout à fait installé, quelqu'un d’important, commente : « En gros, t’appuies sur des boutons, quoi ! ». Il a fallu que je parle de mes collaborations avec l’IRCAM ou avec Radio France pour qu’il commence à me regarder différemment. Je sais qu’après, il est allé écouter ma musique et qu’il a aimé… mais il faut vraiment passer du temps à développer son discours, sa musique, sa voix, à connaître ses outils, pour espérer un peu de crédit en tant que femme, pour être respectée.
À certains égards, FKA Twigs est dans une forme de continuité avec toute une partie de cette histoire. On imagine que c’est l’ensemble de son travail qui vous intéresse plutôt que cet entretien-là en particulier.
Eh bien non. En fait, c’est surtout Imogen Heap, avec laquelle elle s’entretient, qui m’intéresse en l’occurrence. Pour moi, il y a d’abord Laurie Anderson la pionnière, puis Imogen Heap la contemporaine. Les gants que j'utilise sur scène et que j’utiliserai d'ailleurs le soir du concert à Montbéliard, des gants connectés avec lesquels je manipule ma voix et le chœur virtuel de l’IRCAM, c’est Imogen Heap qui les a créés. Elle faisait très tôt, ce qu'aujourd'hui on fait très facilement avec le logiciel Ableton : boucler notre voix, mettre des effets, enregistrer un synthétiseur, tout ça en temps réel… Elle le faisait avec des consoles, avec des boucleurs, avec des outils qui n’étaient pas du tout stables.
C'est une très grande musicienne qui a très tôt été dans la technologie et qui a tenté des choses très avant-gardistes, à mon sens dans la continuité de Laurie Anderson.
Cette discussion, c’est donc celle d’une génération après, celle de FKA Twigs. Elles se rencontrent, elles discutent, et la plus jeune est hyper admirative d’Imogen Heap. Elle découvre les gants avec lesquels elle peut manipuler sa voix, alors même qu’elle aussi fait beaucoup ça. Elle triture sa voix dans tous les sens ! Ce sont les générations qui se passent la main et qui, chaque fois, innovent dans la musique.
Est-ce qu’il n’y aurait pas aussi un point commun avec votre travail du côté d’une approche résolument spectaculaire de la technologie, d’une technologie que l’on montre, dont on admet qu’elle fascine ?
Oui. Souvent, je dis que ce sont des extensions de mon corps, de mes cordes vocales. Pour moi, c'est comme une chorégraphie, un jeu. Mon corps va influencer le son. C'est vraiment comme un dialogue avec l'instrument. Et c’est aussi vrai avec les pads qu’avec les gants. Je mets vraiment les instruments en avant, vers le public, je choisis mes couleurs en fonction des sons que j'utilise. De la même façon, pour l'enchaînement du show, c’est une question que je me pose en permanence : le mouvement du corps, la gestuelle. Si ça fait trois titres que je suis sur ce même instrument, je me dis qu’il faut que ça change pour le 4ᵉ. Il y a une chorégraphie visuelle qui concrétise le fait que l'image et le son ne font qu'un. Donc, c'est important, on entend, mais on regarde aussi et j’aime qu'on comprenne ce qu'on entend par des gestes simples, lisibles, sans virtuosité, sans technicité. Oui, pour moi, l’image est primordiale.
Ce qui nous emmène directement au cinéma avec le 3e podcast...
(Elle interrompt la question par enthousiasme.)
Aaah ! Lui, c'est mon héros !
Bien avant Laurie Anderson. Ryūichi Sakamoto, j'ai pleuré quand il est mort et aujourd’hui encore, parfois, je pense à lui et j’ai souvent besoin de réécouter sa musique. Ça me reconnecte à ce qui est plus beau dans l'homme et dans l'art parce que je trouve que son œuvre touche l'âme immédiatement. C’est très poétique, très sensible. Pour moi, c'est vraiment la définition de la beauté. Depuis ses œuvres pour piano seul, très épurées, jusqu’à un de ses derniers albums, A-Sync, dont il est question dans ce podcast. J'ai eu la chance de le voir pour la première fois de ma vie en live sur ce répertoire-là, à la Maison du Japon (Paris), c’était incroyable !
C'est le grand maître de la mélodie, du thème, et il me semble que c’est ça qui est fort dans sa musique, en particulier pour ceux, comme moi, pour qui c’est tout de suite relié à des images, à des films qu’on a adorés. C’était incroyable de le voir à ce moment-là, alors qu’il avait déjà son cancer, qu’il était déjà soigné pour ça, et qu’il a eu envie de ne pas aller à l'évidence, d’aller à l’encontre de ce qui est naturel pour lui et donc ne pas aller seulement vers la mélodie, mais au contraire davantage dans la texture et dans la matière du son.
Cet album est une vraie expérience, jusqu’aux visuels qui sont tous des natures mortes photographiques, avec cette désynchronisation de l'image qui fait apparaître les pixels et qui répond à ce qui se passe au niveau sonore. Quelque chose comme le piano phasing de Steve Reich, mais associé à des textures, de la noise, des drones… En même temps, ça reste du Ryūichi Sakamoto avec des mélodies sublimes. Il ne peut pas s’en empêcher.
J’étais allé voir ce concert, j’étais hyper émue de le voir en live, c’était magnifique. Un piano à queue avec ses instruments tout autour, dont le Prophet-5 sur lequel il joue depuis toujours (déjà dans le Yellow Magic Orchestra). Et de l’autre côté, des expériences avec, par exemple, une vitre sur laquelle il y avait des capteurs qui généraient du son, ou des cordes qu’il jouait à l’archet, des bols chantants… le tout sonorisé d’une façon telle qu’il y avait parfois des larsens, qui devenaient des harmoniques avec lesquels il jouait, il improvisait et refaisait en live toutes les textures de l’album. C’est l’un de mes albums préférés et c’était vraiment très beau.
Entretien réalisé par Adrien Chiquet avec DeLaurentis
Mars 2025